Six années de collaboration entre la Fédération française de motocyclisme (FFM) et les associations. Six années de travail main dans la main. Six années de bonne entente et de réussites. Mais tout ne s'est pas toujours aussi bien déroulé. Ces six années ne sont qu’une petite partie de l’histoire. Les pilotes à mobilité réduite réclament cette reconnaissance depuis bien longtemps. Le combat pour la démocratisation de la discipline commence des années en arrière.
En France, Handicaps Motards Solidarité (HMS) est la plus ancienne association soutenant des motards porteurs de handicap. Son objectif est de faciliter le passage ou la régularisation du permis moto pour les personnes à mobilité réduite, dont la plupart a été victime d’accidents de la route. Si l’on se penche sur les données d’accidentalité pour les usagers de deux-roues motorisés (2RM), on comprend rapidement pourquoi le besoin s’est fait sentir. Les motocyclistes font partie des usagers de la route les plus vulnérables, au même titre que les piétons ou les cyclistes.
Alors qu’en France, aucun dispositif n’était mis en place, Philippe Witter, lui-même accidenté de la route, rejoint en 1995 l’association dont il deviendra le président quatre ans plus tard. « Les premiers qui, comme moi, voulaient retrouver leur permis, se sont retrouvés face à un mur. L'association a été créée pour s’entraider. »
Les liens entre la route et la piste paraissent évidents. Parmi les participants au championnat handisport, nombreux sont ceux qui se retrouvent aujourd’hui en situation de handicap après un accident de moto sur route. Selon le président d’HMS, les deux pratiques se nourrissent l’une de l’autre.
« L’évolution des normes handicap sur la route a peut-être amené à ce que la piste se développe pour les PMR. », Philippe Witter.
Après son accident en 2003, Stéphane Paulus remonte à moto alors qu’il est encore en centre de rééducation. Il régularise son permis en 2010 après avoir adapté une moto à son handicap. Un an plus tard, il décide d’abandonner la moto solo sur route, une pratique trop risquée selon lui et qui « ne correspond pas à son style de pilotage ». Arrêter la route oui, mais pas la moto.
Sans qu’il ne s’y attende réellement, la piste a été une véritable révélation. Il commence en 2011 à s’entraîner sur circuit : « Certains potes m’ont dit, tu es dans nos chronos, fais la course avec nous. » Pour Stéphane Paulus, le monde de la compétition semblait jusqu'ici inatteignable. Mais le soutien de ses amis le pousse à se lancer. Il roule parmi les valides pour la première fois lors d’une manche de la Icon Monster Race (un championnat européen de motos modifiées) sur le circuit du Val de Vienne au Vigeant, en France. Or, en 2011, rien n’est mis en place pour les pilotes à mobilité réduite. Stéphane Paulus avance à tâtons. Malgré sa paraplégie, il roule avec la même licence que les valides.
« À l'époque, je n'étais pas dans l’illégalité, il n’existait pas de licence handicap. J'ai pris ma licence, si on m'avait dit de cocher la case handicap, je l'aurais cochée. », Stéphane Paulus.
Malgré le succès et les podiums remportés par le néo-pilote de course, Stéphane Paulus se voit obligé d’arrêter la compétition avec les valides lors d’une épreuve au circuit Carole, en région parisienne. Une course, qui, pourtant, restera dans les mémoires. Parti dernier sur la grille de départ (du fait de son handicap), il franchit la ligne d’arrivée en troisième position : « C'était un truc de dingue. Je finis dans les bras de mes mécanos qui me portent dans le public, c'était une folie à l'arrivée. »
Mais le moment d’euphorie est rapidement interrompu par les officiels. « Le vendredi soir, avant la dernière course du week-end, je suis convoqué par le jury. Et on me dit, avec ton handicap, tu ne peux pas rouler. » La fédération avait découvert qu’un pilote paraplégique roulait parmi les valides, un comportement sanctionné pour des raisons de sécurité.
Contraint d’arrêter la compétition, Stéphane Paulus se rapproche du Para Side Racing Team (PSRT). Créée en 2008 mais désormais dissoute, l’association a lutté de nombreuses années afin que des pilotes handis puissent rouler en compétition avec les valides dans diverses disciplines. À cette même période, Benjamin Saglio, amputé fémoral suite à un accident de la route, fait lui aussi partie du PSRT.
Le besoin est là et les pilotes tentent de faire entendre leurs voix. Mais aux yeux de la fédération, ils restent invisibles. Ce manque de reconnaissance de la part de la grande instance a longtemps incité les pilotes à se fondre dans la masse, d’après Nicolas Chevreuil, médecin fédéral : « Avant la création de la licence handicap, les pilotes dissimulaient leur handicap, puisqu’ils connaissaient les restrictions du code médical. Souvent, la fédération s’en rendait compte lors d'une chute et ça faisait désordre. » La collaboration entre Stéphane Paulus et le PSRT est de courte durée mais constitue une étape importante dans le parcours du pilote : « Ce sont les premiers qui m'ont soutenu dans mes démarches et dans mes projets à la suite des différends que j'ai eus avec la fédé. »
En 2014, une rencontre anodine entre deux hommes va se révéler décisive pour le futur du handisport moto en France. L’un est en centre de rééducation après avoir été quelques mois plus tôt victime d’un accident de la route, le rendant paraplégique. L'autre rend visite à un patient dans le cadre de sa fonction de commercial en matériel médical. Le jour où Kévin Simonato et Stéphane Paulus se sont rencontrés reste dans les mémoires de chacun.
« Quand il est rentré dans la chambre, j’ai vu un mec dynamique. On a parlé 10 minutes handicap, le reste moto. » se remémore Kévin Simonato. Les mêmes souvenirs reviennent à Stéphane Paulus : « Je rentre dans sa chambre, avec des posters de motos partout. On sympathise et je me rappellerai toujours, on a parlé de bécanes pendant une heure et demie. On n'a pas parlé du produit pour lequel je venais. » Le début d’une longue amitié naît.
Lorsque le plus jeune apprend que Stéphane Paulus roule sur circuit malgré sa paraplégie, il ne souhaite plus qu’une chose, suivre ses pas et retrouver les sensations qui lui ont fait aimer la moto. De son côté, Stéphane Paulus se montre quelque peu réticent à l’idée. S’il est remonté sur une moto sans se poser de questions, lorsqu’il s’agit des autres, c’est une autre histoire. N’ayant jamais vu rouler Kévin Simonato, il appréhende le moment où il le remettrait en selle et recule l’échéance. « À l'époque, je suis en conflit avec la fédération et je lui dis que je ne peux pas le remettre sur une moto comme ça. » précise-t-il.
C’est à ce moment que l’idée de l’association germe dans l'esprit de Stéphane Paulus. L’objectif serait d’aider les motards avec un handicap qui souhaitent refaire de la moto sur circuit. De ce besoin est née l’association Handi Free Riders (HFR). Stéphane Paulus remet en selle Kévin Simonato, puis un second pilote et un troisième. L’association fait ses premiers pas.
Kévin Simonato obtient son Certificat de qualification professionnelle (CQP) initiateur moto, un diplôme d’encadrement reconnu par la FFM, et initie à son tour de nouveaux pilotes handis.
« Les initiations avec HFR sont des échanges d'émotions intenses. Ces moments sont partagés entre angoisse pour les familles et excitation pour le pilote. Quand ils font leurs premiers tours de roues et qu'ils descendent avec la banane et des larmes de joie... À chaque fois, je me dis wow ! La moto apporte des émotions extraordinaires. Je suis content parce que j'ai pu dire à d'autres personnes dans ma situation que c'était possible. », Stéphane Paulus.
Au fil du temps, des dérogations sont accordées par le comité médical de la fédération. « Nous sommes passés de la contre-indication médicale à l’estimation de l’aptitude », précise Nicolas Chevreuil, médecin fédéral. Quelques pilotes handis peuvent rouler en compétition parmi les valides, mais uniquement dans certaines disciplines, et sous réserve que le handicap n’entrave pas le bon déroulement de la course.
Déjà à cette époque, Stéphane Paulus voit plus grand, il rêve de mieux pour le handisport moto. Mais le pilote prend son mal en patience : « Souvent, on m'a dit d'aller manifester parce que c'était de la discrimination. Mais je ne suis pas monté au front. J'ai patienté. » Il attend le bon moment, qui semble avoir été la course handisport d’Italie en 2015. « C'est parti de là, les rapports avec la fédé ont commencé à s’améliorer. Ils ne voulaient pas que je roule parmi les valides alors je leur ai dit, créons un championnat handisport. » Mais ses ambitions sont encore trop grandes pour la fédération et son idée de championnat est refusée.
Préférant lancer le projet étape par étape, la fédération lui propose de mettre en place quelques épreuves réservées aux pilotes à mobilité réduite. Aujourd’hui, Stéphane Paulus pose un regard plus apaisé sur la situation et reconnaît les difficultés auxquelles la fédération a dû faire face : « Avec du recul, je comprends. Ça engage tellement de responsabilités. On a progressé ensemble sur un règlement et ça a donné ce qu’on a aujourd'hui. »
Ces années de lutte et de combat menées par les associations ont permis la démocratisation d’une nouvelle catégorie de pilotes. Ces hommes, il y a encore quelques années invisibles aux yeux des institutions, se sont rendus visibles et ont fait porter leur voix. Ce travail de longue haleine n’aura pas été vain. Aujourd’hui, ils récoltent le fruit de leur travail. Lorsqu’il remonte dans le temps, Stéphane Paulus se remémore son parcours depuis son accident :« Ce que j'ai vécu, personne ne pourra me le retirer. C'est en moi, c'est dans ma tête et dans mon cœur. Je vis des rêves de valides malgré le handicap. » La suite de l’histoire, on la connaît.