Certaines dates restent à jamais gravées dans les mémoires. Événements historiques, victoires personnelles ou moments d’émotion, il y a des jours que l’on n’oublie pas. Le 9 juillet 2016 fait partie de ceux-là. Pour beaucoup, cette date fût synonyme d’une belle journée d’été. Mais pour certains, elle restera un point de bascule dans leur histoire. Ce jour-là, une victoire personnelle s’est transformée en un événement historique pour le sport moto. Elle marque les débuts de la PMR Cup. Une compétition de vitesse moto sur piste, réservée aux pilotes à mobilité réduite.
Tout commence sur le circuit Carole de Tremblay-en-France, en région parisienne. À l’instar des autres éditions, la Grande fête nationale de la moto voit différentes catégories se partager successivement l’asphalte, à la recherche d’adrénaline, dans une ambiance festive et amicale. Mais cette année-là, la concentration populaire accueille un nouveau genre de pilotes. Sur la piste, des pilotes paraplégiques et amputés se disputent la victoire, à l’occasion de la première course de ce nouveau championnat.
Si l’on tente de retracer l’historique de cette nouvelle discipline, un seul et même nom revient dans tous les esprits. Stéphane Paulus, motard de 40 ans, devenu paraplégique en 2003 à la suite d’un accident de moto sur la route. L’idée de créer une course réservée aux pilotes handis, il l’importe d’Italie. En 2015, Stéphane Paulus obtient une dérogation de la part de la Fédération française de motocyclisme (FFM) après un avis favorable du comité médical. Lui qui n’avait pas attendu le sésame pour remonter en selle, a tenu à officialiser sa démarche. Cette autorisation spéciale lui permet de rouler en France mais également sur le circuit italien du Mugello lors d’une course handisport organisée par l’association « Diversamente Disabili » (Di.Di). Lors de son retour en France, il décide de lancer le projet d’un championnat handisport, en collaboration avec la FFM. « En Italie, ils ont fait un super boulot alors même que le championnat n'avait pas le soutien de leur fédération nationale. Moi, j'allais avoir celui de la FFM. Je n'ai pas créé ça tout seul. », précise Stéphane Paulus.
Si l’effervescence et la détermination ne manquent pas, l’ampleur du projet nécessite des moyens. Stéphane Paulus comprend qu'il va devoir s’appuyer sur une structure administrative pour le réaliser. En 2016, il fonde l’association Handi Free Riders (HFR) avec son ami, Kévin Simonato, lui aussi paraplégique à la suite d’un accident de moto. Dès lors, des discussions s’engagent avec la FFM afin de créer une licence pour que des pilotes à mobilité réduite puissent se frotter à la compétition.
Pour Pierre Ortega, président du comité médical de la FFM, ce projet a été l’un des premiers gros dossiers à gérer. À cette époque, Sébastien Poirier travaille à la direction générale de la fédération et décide de prioriser le projet handisport car « les PMR frappaient à la porte de la fédération depuis plusieurs années, mais la porte restait fermée. ». Les dérogations comme celle accordée à Stéphane Paulus en 2015 ne suffisent plus. La complexité du dossier ne se résume pas à une discussion de fond sur l’aspect médical, mais nécessite bien la collaboration de plusieurs services au sein de la fédération.
Petit à petit, les discussions et le travail de fond donnent naissance aux licences handicap pour les entrainements (NEH) et pour la compétition (NPH). Ces cartes officielles sont le fruit d’un travail, conjointement mené par la FFM et Stéphane Paulus, qui ignore alors l’ampleur du projet qu’il vient de lancer : « J'ai toujours eu la fédé derrière moi pour valider les règlements, pour m'accompagner sur les textes et sur le format juridique. Il y a tellement de petites choses qui me paraissaient anodines, mais qui étaient très importantes pour les organisateurs. », se rappelle-t-il.
Jusqu’ici invisibles aux yeux de la grande instance, les pilotes PMR sont désormais reconnus officiellement. La machine est lancée, sans faux-départ.
Cet élan pousse l’association Handi Free Riders à remettre en selle des accidentés de moto, afin qu’ils retrouvent les sensations de pilotage d'une machine sur la piste. De ces journées d’initiation naissent des désirs de compétition chez certains pilotes.
Depuis ce jour de juillet 2016, la discipline a continué d’évoluer au fil des saisons, avec le soutien de la fédération et de son président, Sébastien Poirier : « On a commencé par un trophée, puis une coupe et aujourd’hui c’est un championnat de France qui rassemble entre 20 et 25 pilotes. Je crois que c’est une très belle fierté parce qu’on a su faire la démonstration qu’on pouvait aborder des sujets difficiles. » Le retard accumulé depuis des années semble rattrapé. Les efforts de la France dépassent ainsi ceux de l’Espagne ou de l’Italie, pourtant partis avec une longueur d’avance.
L’année 2016 a été un succès pour le handisport moto en France et ce bel élan a attisé la curiosité de la Fédération internationale de motocyclisme (FIM). En 2017, sous la présidence de Vito Ippolito, une « Handirace » voit le jour. Près de 32 pilotes internationaux s’affrontent sur le circuit Bugatti du Mans, en ouverture du Grand Prix Moto (MotoGP) de France, le championnat du monde de vitesse*. Mais le soutien de la FIM ne durera qu’une année. En 2018, la coupe de France handisport se transforme en championnat et fait courir plus d’une vingtaine de pilotes autour de 2 épreuves. En parallèle, un championnat d’Europe est créé avec 2 courses en France et en Italie. Depuis, les saisons des championnats français et européen s’enchaînent, avec chaque année, un niveau plus exigeant et des pilotes plus aguerris. Une expérience unique, qui a fait grandir la FFM selon son président : « Le championnat handi nous permet d’évoluer dans notre approche, de faire bouger les lignes. »
La vitesse est une discipline du sport motocycliste, organisée en plusieurs courses de vitesse (aussi appelées manches) par championnat. Elles sont disputées sur des circuits asphaltés (goudron). Chaque pilote solo doit parcourir un nombre donné de tours, le plus rapidement possible.
Faire bouger les lignes et les mentalités, c’est le résultat du travail mené par Stéphane Paulus, qui a ouvert la porte des possibles aux autres associations. Ses victoires personnelles et le succès de son association font rêver et en inspirent plus d’un. « Il y a une organisation dans le sud de la France, Planète Handisport (PHS), dédiée aux sports extrêmes et à sensation. Ils ont ouvert une section moto, ce qui est bien parce qu’ils ont repris ce qu'on a mis en place au nord de la France et ça va permettre aux motards qui sont dans le sud de pouvoir faire ça plus facilement. »
Basée dans le sud de la France, Planète Handisport (PHS) remet en selle des pilotes PMR par le biais des initiations et roulages moto qu'elle propose. Depuis 2018, sa section « sports mécaniques » accueille une catégorie moto, supervisée par Laurent Tronnet, mécanicien, ainsi que Benoit Thibal, pilote paraplégique et instructeur diplômé d'État. L'association dispose de deux roadsters* (une MT07 et une MT09), d'une sportive* (une R7), et d'un supermotard* (un 450 YZF), de la marque Yamaha.
Les roadsters sont des machines classées entre les catégories routière et sportive, privilégiant la maniabilité et la nervosité au détriment du confort. Ils sont reconnaissables à leur absence de carénage, leur guidon en position haute, et à leur moteur relativement puissant.
Les sportives désignent une catégorie de motocyclettes qui se distingue par un carénage et une position de conduite vers l'avant, facilitant l'aérodynamisme. Elles sont utilisées, entre autres, pour la recherche de vitesse et les compétitions.
Les supermotards désignent une catégorie de motocyclettes qui dispute des épreuves sur des circuits mêlant zones bitumées et pistes en terre. Leur esthétique se rapproche de celle des enduros, voire des motocross.
Emmanuel Senin, devenu paraplégique suite à un accident de motocross, est le président et fondateur de l'association PHS : « Grâce au travail de Stéphane Paulus qui a bossé avec la fédération, on peut officiellement rouler sur circuit. On s'est dit que c'était incontournable, qu'on avait un très bon mécano Laurent Tronnet, un très bon pilote instructeur Benoit Thibal, mais aussi des partenaires et surtout les adhérents qui étaient là. »
Depuis 2020, Stéphane Paulus a rejoint le comité directeur de la FFM, un poste administratif qui lui permet de veiller sur son projet et de le faire évoluer. Il se nourrit de ses réussites pour mettre en place de nouvelles initiatives et faire rayonner le handisport moto en France et à l’international. À travers la course moto, un sport solitaire, Stéphane Paulus a décidé de partager.
« J'ai du mal à dire que je suis fier. En revanche, je suis ému quand je vois les pilotes qui ont le sourire sur le visage. Pour moi, la victoire, c'est de voir tous ces gars après une course qui ont le sourire. », Stéphane Paulus.
Après deux saisons de championnats perturbées par la crise sanitaire, le programme de cette année 2022 promet un beau spectacle avec le championnat de France « PMR Bridgestone Cup » et le championnat d'Europe « European Bridgestone Cup » qui se tiendront en France, en Espagne et en Belgique, avec cette année le soutien de la FIM Europe. Les pilotes seront sur la grille de départ dès le 15 avril prochain, lors des 24h moto du Mans, une épreuve mythique. Et tous, espèrent bien décrocher le titre de champion en fin de saison.